1 nov.
au
31 déc.
INVITES EXCEPTIONNELS
Le Professeur Paolo Malo et son Equipe
4 Chirurgies en direct
2 Blocs de Chirurgie
"Si tu fais ça, tu crois que Dieu sera fâché, mais non, c'est de la légende. Il est possible de le faire." C'est sur ce ton enjoué et taquin que Paolo Malo nous invite à transgresser les idées reçues. Il introduit chaleureusement cette riche journée de formation et entreprend sa première chirurgie en direct avec une telle assurance que l'on a envie de lui demander "Professeur, quelle est votre recette ?"
Mais y a t-il une recette ? Même sans connaître le personnage, on devine un tempérament curieux et audacieux, et de la pratique, beaucoup de pratique. Pour atteindre une telle maestria et l'exprimer avec autant de simplicité, une seule formule : "10% d'inspiration, 90% de transpiration". Transpiration qui sollicite tout un éventail d'intelligences, dont celle des mains.
Cette intelligence des mains, dont nous avons déjà parlé lors de notre congrès 2012, résulte principalement d'un heuristique, c'est à dire un mode de fonctionnement ou de travail, un "tour de main" qui s'élaborent par la pratique, sans recours à aucune théorie préétablie. Les heuristiques, c'est ce que l'on "apprend sur le tas" et que l'on va transformer en compétences et en talents dans l'exercice de son métier pour les transmettre ensuite avec passion.
Cultiver son métier vers toujours plus de maîtrise, d'excellence, permet de résister et de prendre avantage face à la complexité. Chaque saut de complexité induit de nouveaux heuristiques qui se superposent aux précédents et les dépassent.
On adopte de nouvelles "habitudes" temporaires qui deviennent les "lois" spécifiques, jusqu'au prochain paradigme.
Ainsi, une entreprise se construit chaque jour en accumulant un trésor d'heuristiques, de savoir-faire et de savoir-être qui n'apparaîtront jamais dans les comptes financiers mais qui en font pourtant toute sa richesse. Une entreprise est une histoire qui se raconte : elle a sa mémoire, elle a son projet. Et à leur jonction, il y a des talents à l'oeuvre, inépuisables.
Le talent et l'expertise constituent le patrimoine essentiel et stratégique de l'entreprise.
Si on a la volonté d'apprendre, d'évoluer, les heuristiques se révèlent peu à peu. Avec un peu d'habitude et de pratique, et en utilisant son cerveau pour raisonner, on devient de plus en plus habile, vers la maîtrise du geste et l'excellence.
On l'aura compris, l'heure n'est plus à apprendre des savoirs, il faut renoncer à l'accumulation des connaissances. Absorber la totalité des savoirs médicaux nouveaux qui "sortent" chaque année demanderait 25 années de lecture ininterrompue à un médecin d'aujourd'hui.
L'excellence dans sa pratique permet ensuite de se déployer. Les raisonnements de logique se doublent d'un autre niveau de raisonnement avec de nouvelles règles émergentes afin d'optimiser le processus. C'est donc l'intention qui est le moteur de la démarche.
Mais aucune règle heuristique, et à fortiori logique, n'émergera si les essais et les erreurs ne sont pas mémorisés, accumulés, structurés et exploités.
Tout discours scientifique n'est que provisoirement vrai tant qu'il n'a pas été réfuté par l'expérience. L'exploration scientifique essaye d'établir des vérités irréfutables tout en étant certaine de ne jamais y arriver. C'est un processus discontinu de transformation, celui des "paradigmes" avec l'idée de changement d'état, de changement de système de représentation.
Lorsqu'un nouveau paradigme apparaît, il n'apparaît pas n'importe comment.
Au départ il y a une intention. Ensuite il faut réunir les compétences et les motivations d'une diversité et d'une qualité suffisante pour porter le projet jusqu'à sa réalisation. Par exemple, un bon chercheur est un être paradoxal, à la fois opiniâtre et soumis, iconoclaste et respectueux. Il en va de même pour une entreprise, une équipe ou une personne créatives : à la fois opiniâtres et respectueuses.
Enfin, les bonnes graines germent parfois longtemps après les semailles.
Une idée, c'est bien souvent une association d'idées qui passe par-dessus les cloisonnements. Elle transgresse les fiefs disciplinaires ou les territoires de métier.
Une idée c'est une réponse à une question que l'on se pose, qui peut recevoir plusieurs réponses.
Une idée innovante est une représentation mentale originale. Si elle est féconde elle va se déployer, entrer en résonance avec les cerveaux humains et les pratiques sociales de son milieu. Ces constructions intellectuelles s'illuminent, s'éclairent et s'enrichissent mutuellement.
La noologie (Edgar Morin) nous ouvre une perspective originale sur la dynamique interne de l'idée. Ces constructions intellectuelles, une fois produites, acquièrent une existence propre et s'imposent comme une sorte de réalité.
Le développement rapide des technologies a permis à la pensée et aux idées de se libérer des contraintes matérielles lourdes d'antan et, ce faisant, a suscité l'émergence de la noosphère. La noosphère ou sphère pensante, est l'enveloppe immatérielle qui recouvre toute la terre de ses réseaux. Cette couche de savoirs et d'informations, est un vaste organisme vivant qui se construit et évolue, qui connaît des règles de sélection et des modes d'association qui restent encore largement à explorer. Les idées germent, se propagent et prolifèrent, s'associent, se combattent et s'amalgament tout comme les organismes vivants.
La noétique (Marc Halévy) se concentre sur l'étude et le développement de toutes les formes de connaissance et de création qui engendrent et nourrissent la noosphère. Le capital essentiel de demain sera la connaissance et le talent (intelligence sous toutes ses formes, mémoire, intuition, imagination).
"Quand deux champs de savoir se rencontrent, ça fait pousser du rêve... surtout si c'est bien arrosé".
Dire qu'une théorie est féconde, c'est dire qu'elle marche, qu'on peut avancer, qu'on peut prolonger le discours, publier, communiquer. Le travail de communication devient indissociable du travail technique.
Les techniques sont des outils conceptuels qui ne valent qu'en raison de leur efficacité. Il y a des techniques qui marchent et d'autres qui ne marchent pas. Cela vaut aussi pour les théories scientifiques : c'est leur fécondité qui importe, et non leur supposée "vérité".
Il ne suffit pas d'organiser un congrès interdisciplinaire pour prouver qu'un dialogue entre spécialistes venus d'horizons divers est possible.
"Réunissez un expert en droit international, un historien, un jésuite, un rabbin, un scientifique, etc. et à la fin du colloque, faites un tour de table pour parler du résultat de votre travail. Le jésuite aura parlé de la parcellisation du savoir, le rabbin du Talmud et de l'utilisation des appareils électriques pendant le sabbat, le physicien de ses particules élémentaires, etc. sans se soucier le moins du monde de l'opinion des autres. Et les imbéciles infatués n'auront même pas conscience que tout ce beau monde nageait dans la totale incompréhension tout en se félicitant de l'intérêt des discussions."
Ainsi s'exprimait Richard Feyman, physicien génial et prix Nobel un peu malgré lui. La mode était à l'interdisciplinarité au début des années 70. Les choses ont-elles changé depuis ?
Dans l'exemple précédent, l'interdisciplinarité peut signifier purement et simplement que différentes disciplines se mettent à une même table, à une même assemblée, sans pouvoir faire autre chose que d'affirmer chacune ses propres souverainetés par rapport aux empiètements du voisin. Mais interdisciplinarité peut vouloir dire aussi échange et coopération, et passer de l'état d'inertie ou de revendication stérile à celui de déploiement.
Pour imager, on peut en venir aux mains pour défendre ses idées lors d'un colloque sur l'interdisciplinarité, mais on peut aussi choisir de dépasser les divergences et oeuvrer pour faire émerger de nouveaux systèmes autonomes de pensée. Il ne s'agit plus ni de choisir (son camp), ni de trancher (vrai ou faux), ni d'argumenter (pour ou contre), mais de synergiser. Des découvertes dans un champ alimentent et fertilisent la découverte en d'autres domaines totalement disjoints.
Comment établir des ponts entre des sciences et des disciplines non communiquantes ? Comment unir sans appauvrir ? Comment fusionner sans fondre ? Comment construire du sens dans ce monde de plus en plus complexe ?
Pour rappel, la somme des connaissances accumulées entre 1950 et 2000 est supérieure à la somme de celles accumulées depuis l'origine de l'humanité jusqu'en 1950.
La technologie réputée facilitante, induit des saturations irréversibles et incontournables. D'un côté elle permet aujourd'hui la gestion et la circulation quasi immédiate de très gros volumes de ressources (d'information). Mais le problème d'accessibilté à ces ressources demeure: comment communiquer et échanger des connaissances existant sous différents formats hétérogènes ? Comment relier les bases de données de différentes institutions ? La réponse est dans l'interopérabilité de ces ressources portée par les technologies du numérique. L'interopérabilité est une relation immatérielle, un pont qui relie une connaissance en mouvement.
La prophétie du "village planétaire" de Macluhan est réalisée. Notre petite Terre est désormais totalement mercantilisée, financiarisée, industrialisée, marketisée.
Peu à peu, Internet va câbler la terre entière pour devenir comme une membrane composée de millions de réseaux informatiques. Les industries de l'avenir sont en train de naître, des disciplines nouvelles voient le jour.
Mais le grand défi de demain ne sera pas technique, il sera humain.
La "crise" que nous vivons n'est que la manifestation d'une bifurcation profonde, d'une mutation paradigmatique, de la métamorphose de la logique économique (et sociale, et culturelle). Cette métamorphose est inéluctable et irréversible. Il n'est pas certain qu'elle réussisse. "Le sort de l'humanité en général sera celui qu'elle méritera." Albert Einstein.
Le saut technologique irréversible lié à la révolution numérique est comparable au passage, néolithique, de la vie de chasseur-cueilleur à celle d'éleveur-agriculteur.
Dans ce monde complexe, l'explication causale n'a plus de sens. La logique classique, héritée d'Aristote, ne peut traiter valablement que les relations simples et univoques de cause et d'effet. La réalité d'aujourd'hui est infiniment plus complexe. Tout interfère avec tout. Plus rien n'est isolé ou indépendant. Le scalpel de la raison analytique, lorsqu'il tente d'isoler les élémentaires pour mieux comprendre, tranche en fait ce tissu dense d'interactions et... ne peut plus rien comprendre du tout.
Paradoxe logique qui rend la logique inopérante à partir d'un certain seuil de complexité. Au-delà de ce seuil, d'autres méthodologies s'imposent, plus globales, plus intégrantes. Qu'on les appelle systémiques ou holistiques importe peu.
Place au principe d'émergence.
Que vaut un renforcement de notoriété ? Que vaut une passion professionnelle ? Que vaut la joie d'un succès improbable ? Que vaut un saut de virtuosité dans le métier ? Que vaut un enrichissement des savoir-faire ? L'intelligence collective consiste à valoriser toute la diversité des connaissances, des compétences et des idées qui se trouvent dans une collectivité et à organiser cette diversité en un dialogue créatif et productif.
Une entreprise est un système ouvert, en prise permanente avec son milieu. Elle doit être en phase avec lui, en porosité, en osmose, en connivence, en résonance, en reliance avec le monde alentour, avec les marchés, les clients, les collaborateurs, les évolutions technologiques et socio-économiques.
Les petits détails comptent énormément. Il ne s'agit pas d'être parfait, la perfection est inaccessible, sans doute; mais en cherchant constamment à s'en approcher, par un travail persévérant, c'est le sujet qui se perfectionne lui-même. Tout est affaire d'intention, d'interactions et d'organisation
Pour exemple, outre le prix, qu'est-ce qui différencie le diamant (le caillou de la rivière) et le graphite (la mine de votre crayon) ?. Ce sont les mêmes atomes de carbone dans les deux cas, mais ce qui fait la colossale différence entre le diamant et la mine de crayon est la relation immatérielle qui relie leurs composants. On en revient à cette notion de tension, d'interopérabilité et d'émergence.
Autre exemple. Nous sommes à l'âge des cavernes. Nos ancêtres mangent de la viande crue. Ras le bol (phénomène de saturation propice aux découvertes).
Le feu est domestiqué mais ne sert qu'à réchauffer l'atmosphère glaciale de la grotte.
Mais voilà qu'un olibrius maladroit glisse et que son morceau de viande tombe sur la braise. Tout d'un coup : l'odeur, le fumet... On hume, on se délecte, les estomacs se réveillent, l'appétit s'ouvre... Le plus téméraire retire la viande désormais grillée. Le plus gourmand de la bande s'ose : il mord, il mâche, il goûte, il écarquille les eux, il jouit.
La grillade et le barbecue sont nés. Avec eux jaillissent de toutes nouvelles propriétés émergentes : cuissons, mélanges, assaisonnements). Cet art culinaire est une émergence qui a donné à de nouveaux champs d'activité, avec leurs règles et leurs méthodes propres.
Dans un monde complexe et incertain, tumultueux et instable comme le monde économique actuel, l'innovation est le premier de tous les facteurs de survie. L'innovation géniale, mais aussi l'innovation humble, modeste, banale.
La créativité est un état d'esprit, mais il ne s'agit pas d'innover pour innover dans une sorte de fuite en avant comme l'illustre la "bulle" des nouvelles technologies. L'esprit de créativité est tout le contraire de l'esprit de facilité, si cher à notre époque. Il s'agit de cultiver une vigilance profonde, éveillée et lucide.
Créer, c'est toujours créer une réponse à une question, une solution à un problème, une satisfaction à un désir.
La créativité est ce talent mystérieux qui compose du neuf, de l'inédit, de l'original, de l'insolite à partir de matériaux ou éléments ou ingrédients anciens mais impliqués dans d'autres structures, d'autres mouvements, d'autres interactions. On n'invente jamais rien à partir de rien.
Créer c'est d'abord bien poser cette question, ce problème, ce désir. Bien l'examiner sous tous les angles, de tous les points de vue, dans toutes ses dimensions.
Créer c'est ensuite entrer en rumination. Se laisser aller. S'interdire toute censure. Oser l'improbable. Jouer. Jongler. Jubiler.
Et enfin, le miracle...
Les images font appel à l'intuition. Le design implique que l'on ne va pas être uniquement attentif à la fonctionnalité des choses, on dépasse la seule fonction rationnelle des choses.
Le sociologue Michel Maffesoli étudie les phénomènes de liens communautaires. L'apparition de l'icône marque une approche qui n'est pas seulement rationnelle, déductive. L'icône fait sourire, on se l'envoie, c'est un totem, elle vaut communion. "Tant de technologie derrière une petite icône m'inspire un oxymore : la raison sensible." Les innovations technologiques qui réussiront seront celles qui font sens pour les utilisateurs.
Les produits sont éphémères, mais pas ces technologies ni les conséquences qu'elles ont sur la société. Ce genre d'objet a une fonction tribale. Il rend visible une source invisible. Des mécanismes de reconnaissance sont à l'oeuvre.
Aujourd'hui on peut réaliser des organes artificiels indiscernables de leurs homologues naturels. On créé du "presque vivant". Les procédés de régénération des tissus endommagés conduisent à estomper la frontière nette qui existe entre le naturel et l'artificiel. L'avenir appartient aux sociétés humaines organisées en symbiose avec leurs artifices naturels.
La symbiose est une association se réalisant au bénéfice mutuel de deux ou plusieurs organismes différents. Des relations symbiotiques se constituent entre organismes vivants, mais aussi entre l'homme et son environnement (maison, ville, écosystèmes...), entre l'homme et ses machines, et enfin, entre l'homme et la macro-vie qu'il contribue à créer. Il ne s'agit pas pour autant de trangresser les lois de la vie pour satisfaire des caprices farfelus. Greffer des nageoires à un humain pourvu de branchies doit rester dans le registre des prouesses Hollywoodiennes.
La fabrication d'un produit commercial devient de plus en plus marginale face à la conception, le design, le confort, les normes de sécurité, la commercialisation, qui, elles, sont des fonctions à "haute matière grise ajoutée". La valeur réside dans la connaissance que l'on y a injectée.
Toutes ces connaissances font qu'un produit apporte un maximum de satisfaction à son acquéreur : si simple d'usage, si complexe à développer.